Les pays africains affirment leur souveraineté dans le cadre d’une course mondiale à l’acquisition des ressources : L’élite de la diaspora doit être prête à faciliter le processus.
Par Guy Kioni mis à jour le 30 on Avril 30, 2024
Le continent africain est depuis longtemps connu comme un gisement de ressources naturelles mondiales, puisqu’il abrite plus de 30 % des réserves minérales de la planète. Parmi celles-ci, les plus critiques sont devenues ces dernières années les minerais utilisés pour la production de batteries lithium-ion. Il s’agit du lithium, du nickel, du cobalt, du cuivre, du manganèse et du graphite. Il s’agit là de pierres angulaires des plans mondiaux de transition énergétique, portés par des initiatives ambitieuses de politique publique telles que le Green Deal et le programme “Fit for 55” de l’Union européenne, la loi américaine sur la réduction de l’inflation et le programme indien FAME (Faster Adoption and Manufacturing of Hybrid and Electric vehicles), entre autres, en plus de l’industrie chinoise de production de batteries, qui domine le marché mondial et qui espère pouvoir répondre à une demande en progression fulgurante.
Alors que les États-Unis, l’Union européenne et l’Inde s’efforcent de concurrencer la Chine et de développer leurs capacités de production locales, des pays comme la Zambie, la République démocratique du Congo (RDC) et le Gabon, riches respectivement en gisements de lithium, de cobalt et de manganèse, deviennent des centres de lobbying pour les délégations des capitales occidentales et de l’Est. L’Inde, l’UE et les États-Unis sont membres du Partenariat pour la sécurité des minerais, qui vise à garantir un approvisionnement stable en matières premières à l’échelle mondiale. En plus de courtiser les pays d’Afrique et d’Amérique latine pour l’accès au lithium, l’Inde met également en place un projet ambitieux d’exploration de ses propres réserves de lithium dans le nord du pays.
Les chaînes d’approvisionnement ayant créé une dépendance à l’égard des ressources naturelles des pays africains, ces derniers se sont de plus en plus affirmés en tirant parti de leur position unique entre l’Est et l’Ouest. Au cours des dernières années, de nombreux pays ont mis en place une série de politiques nationalistes visant à accroître le contrôle de leurs ressources ainsi que les bénéfices tirés de leur vente. Il s’agit notamment de la politique de la Zambie visant à contrôler étroitement la qualité des échantillons prélevés sur les sites miniers afin de pouvoir percevoir les redevances appropriées, du nouveau code minier de la RDC à partir de 2018, qui augmente les taxes sur les profits importants du secteur privé dans le domaine minier ou encore le financement des études de faisabilité pour une usine de raffinage de cuivre et cobalt en RDC (Buenassa), des réformes de la Tanzanie qui ont augmenté les droits de participation du gouvernement dans le secteur minier ou du Nigeria qui accorde des licences minières uniquement aux entreprises qui transforment les minerais localement, créant ainsi l’autonomisation socio-économique tant attendue. Les pays africains redéfinissent leur rôle de fournisseurs de matières premières pour devenir des acteurs clés de l’économie de la chaîne d’approvisionnement.
Avec l’avènement des véhicules électriques et des méthodes de production et de stockage de l’énergie verte, la Chine a obtenu le monopole de diverses chaînes d’approvisionnement en minerais en Afrique, déployant efficacement ses outils d’investissement dans le cadre de son initiative “la Ceinture et la Route” (ICR) pour garantir ses intérêts économiques. Au premier plan de la campagne d’influence de la Chine se trouve un ensemble de tactiques de relations publiques, établissant un contact avec les acteurs locaux et les institutions des pays africains, en s’adaptant aux normes et pratiques nationales.
Cependant, les gouvernements africains se rebiffent, conscients de l’asymétrie de leurs relations avec la Chine et de l’opportunité que représente la satisfaction des intérêts occidentaux. Un exemple concret est la réaction du gouvernement namibien contre la société minière chinoise Xinfeng, qu’il accuse d’exporter irrégulièrement du lithium hors du pays. En 2023, la Namibie a totalement interdit l’exportation de lithium non traité et d’autres minerais, un modèle que le Zimbabwe voisin a également suivi.
Les stratégies commerciales éthiques des entreprises européennes et américaines offrent la possibilité de proposer aux gouvernements africains des contrats plus attrayants et plus équitables, en mettant l’accent sur les critères ESG.
L’importante diaspora africaine en Europe – dont la majorité vit en France – et les membres de la nouvelle diaspora africaine postcoloniale au Royaume-Uni et aux États-Unis constituent une communauté d’affaires importante, capable de combler le fossé entre les capitales occidentales et africaines dans les années à venir. En participant aux efforts de lobbying et de relations publiques menés par les États, ils peuvent aider à la fois les pays africains à améliorer leur profil dans les relations internationales et à déployer leurs ressources, et les États occidentaux à négocier des accords d’exportation et de production préférentiels susceptibles de contrecarrer l’influence de la Chine sur le marché des batteries au lithium-ion.
Alors que l’Afrique se prépare à affronter la concurrence entre l’Est et l’Ouest pour les ressources naturelles au cours de la prochaine décennie, une élite d’hommes d’affaires africains vivant en Europe, aux Amériques et au Moyen-Orient a la possibilité de jouer un rôle clé dans la facilitation de l’engagement géostratégique en tirant parti de leur compréhension culturelle du continent africain et de leur vaste réseau dans leur pays d’origine. Pour avoir un impact significatif, la diaspora africaine dispose d’une opportunité unique qu’elle doit saisir afin d’établir une communauté d’affaires internationale ayant la capacité d’influencer les flux d’investissements directs étrangers, les relations commerciales, la diplomatie, la recherche scientifique et, à certains égards, la coopération dans le domaine de la sécurité, entre les pays d’Amérique, d’Europe, du Moyen-Orient et d’Afrique.